IMPROMPTU DE MARION

Lors des dernières années de la vie de Bernard Manciet, je me rendais chez lui le mardi après-midi, pour le plaisir de la conversation. Je posais des questions, il donnait de longues réponses. Nous étions près de la cheminée, ou bien sous la douce lumière qui venait à l'oblique du dehors peuplé de chênes et de pins. Nous parlions peu de poésie, mais il m'offrait ces livres. De temps en temps, je lui donnais un poème qu'il publiait dans la revue Oc. Nous n'avions pas d'autre activité que les mots en bonne compagnie, un verre ou deux d'alcool et de temps en temps une cigarette (Pall Mall) interdite, qu'il fumait en cachette comme un gamin. Un jour, il me demanda de venir la prochaine fois avec ma guitare, et bien que son ouïe n'était plus très bonne, il voulait entendre mes chansons poétiques. Alors je préparai une surprise, avec l'un de ses Impromptus, mon préféré de ce merveilleux recueil de poèmes. Quand je revins, nous nous installâmes dans son bureau, qui donne sur l'arrière de la maison. Il prit place dans le fauteuil couvert d'un plaid à larges bandes blanches et noires, et moi sur une chaise, de trois-quarts devant lui. Et j'ai chanté l'Impromptu de Marion, composé sur le poème Entà Marion. Il plaça sa main en coquille derrière son oreille, pour mieux entendre. Je me souviens de sa tête qui dodinait, et de son regard qui s'en allait vers la forêt, à travers la fenêtre. Quand j'eus terminé, il dit simplement : "Faites quelque chose avec ça!". Alors tout à trac je répondis : " D'accord, si vous participez." C'est ainsi que commença, sans que ce fût prévu, le travail de l'enregistrement "6 Impromptus 6", comme on dit "6 toros 6". La fois suivante, j'allais à Trensacq avec une idée, et un petit enregistreur. Il me fit la lecture de l'Impromptu pour Marion, et de celui de Tabago. Le feu craquait dans la cheminée. De temps en temps un véhicule passait sur la route. Et puis, Bernard s'en est allé, sans claquer la porte, comme ça, avec tout sa légende. Alors je proposai à Philippe Charlot, ami musicien, amant de la chanson et excellent guitariste, de m'aider à arranger quelques chansons, et de diriger l'enregistrement en studio. Marie-Hélène Cauhapé vint lire dans son béarnais fastueux, Nicolas Martin-Sagarra mit ici et là son grain de percussion, et le compère Patrice Cazals, guitariste et ingénieux du son, prit en charge les finitions du master. L'entreprise était modeste, menée et financée avec les moyens du bord, mais bourrée à craquer d'émotion et d'exigence. Quand le disque est sorti, nous avons commencé à jouer à deux, puis trois, jusqu'à sept sur scène, en ajoutant des texte chantés ou lus, dont "La pluie", je me souviens, cette pluie qui ne tombe que du ciel du sud-ouest. Quelques temps plus tard, l'opus recevait un Coup de coeur de l'Académie Charles Cros, dans la catégorie Parole enregistrée. Le disque n'a jamais été distribué (mon sens du commerce est émoussé de naissance), mais je n'ai jamais cessé de chanter l'Impromptu de Marion et celui de Tabago. Et je les chanterai encore.

Poème de Bernard Manciet.

Composition, guitare et voix Olivier Deck

Guitare, arrangement et prise de son Philippe Charlot.

Date de dernière mise à jour : 05/12/2023

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