LES POULES

Par Le 18/06/2016 0

Dans Textes indédits

 

Les enfants voulaient des poules. Des gasconnes, noires à crête rouge. Ils réclamaient aussi un coq, pour voir naître des poussins. Je leur ai fait promettre qu’ils s’en occuperaient. Bien entendu, ils n'allaient pas tenir leur promesse, je savais qui allait s’occuper des quatre poules et du coq. Nous avons construit un poulailler. Enfin, Josette et Jeannot s’y sont collés pour meubler gentiment leur retraite, comme d’habitude. Je tiens tout bricolage à distance, pour ne pas dire en horreur. Depuis le début du printemps, tous les jours, les poules pondent trois ou quatre oeufs. Parfois un ou aucun. Au retour de l’école, les garçons sautent de la voiture et courent jusqu’au poulailler en se chamaillant pour ramasser la ponte. Un soir, une poule est restée au nid. Elle couvait trois oeufs, les siens et celles des copines. On l’a laissée faire. Le jour suivant, je lui ai ajouté deux oeufs, elle les a acceptés en bonne mère poule. Vingt-et-un jours plus tard, quatre poussins sont nés. Des petites boules de duvet noir, avec le cul blanc. Les garçons étaient ravis. Le lendemain, deux poussins sont passés sous le grillage et les chiens les ont tués. D’aucuns considéreraient l’épisode traumatisant. Moi, que les chiens tuent les poussins en s’amusant, je trouve ça très riche sur le plan éducatif. La vie à la campagne, avec des animaux, permet d’éprouver la réalité et de comprendre qu’elle n’a rien à voir avec ce qu’en disent les programmes et les documentaires qui font croire aux gosses que la nature est idyllique et que les animaux sont gentils. Ils ne sont ni gentils ni méchants, la question n’est pas là. On ne peut penser la culture sans accepter l’idée que la destruction est à l’oeuvre au coeur même de la vie. Les poussins ne se sont pas envolés au ciel, ils sont morts. Quand je dis à mes petits garçons que leur grand-père est parti au ciel, ils pensent qu’il est pilote de ligne ou cosmonaute. Moi, je préfère qu’ils sachent que leur grand-père est mort. Mort de chez mort, comme ils disent. Ou trop mort, ce qui est un comble. Un jour, je mourrai moi aussi. Et eux aussi, ils mourront. Elle est là, la seule vérité qui compte.

 
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