Nous allions souvent à la montagne, avec les copains. Là-haut, j’ai reçus les leçons de la plus élémentaire des écoles élémentaires… l'école des éléments. J’ai appris à aimer la vie fruste, primitive. Ce qu’aujourd’hui je nomme la vie sauvage, de cette sauvagerie que je recherche dans mes images et dans mon écriture. Le feu, le bois, l’eau, la roche, le ciel. J’ai appris à lire les cartes, à consulter les boussoles, à préparer mon sac, choisir le bon endroit pour installer le bivouac, surveiller le temps, faire le bois et allumer le feu, creuser des rigoles afin de prévenir l’inondation de la tente. J’ai connu les orages, les tempêtes, les jours de canicule, la piqûre de taons au soleil, et des moustiques sous la lune. L’odeur du buis, qui rappelle celle de la pisse de chat, le parfum des jours de fenaison.
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Un jour, le ciel était menaçant, nous devions trouver une endroit pour camper. il y avait une clairière près du torrent. Il fallait obtenir l’autorisation du propriétaire, un fermier qui nous reçut de méchante humeur. Il nous rabroua, pas le temps, va faire mauvais, faut rentrer le foin. Alors nous lui avons proposé de l’aide. Nous sommes allés sur les prairies en pente, avons rassemblé les andins, puis les avons chargés sur la remorque. Le fermier conduisait le tracteur. Comme je maniais la fourche avec aisance, il l’a remarqué et m’a adressé un compliment. J’avais appris avec Basile, mon grand-père. L’oeil exercé du paysan ne s’y était pas trompé. A compter de là, il m’a eu à la bonne. Nous avons rentré le foin au sec et il s’est rasséréné. Il nous a offert un verre de vin rouge, nous avons échangé trois mots en gascon, ce fut l’instant décisif. Il nous a donné l’autorisation de camper chez lui. L’orage a éclaté plus loin. Nous entendions ses grondements et nous voyions les éclairs fendre la nuit comme des sabres.
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Le lendemain, nous avons remonté le cours du torrent, puis celui d’un petit affluent qui conduisait à un haut plateau, sous de hautes falaises grises qui semblaient tenir le ciel redevenu bleu pur, lavé par l’orage. Venant des roches, le ruisseau serpentait entre les herbes. Nous avons pêché des truites, à la main. Des petites farios au ventre jaune tacheté. Le soir, de retour au campement, nous les avons grillées sur le feu, au bout de piques de noisetier. Et puis, fumant des cigarettes, les yeux dans les flammes, nous avons chanté et nous nous sommes racontés des histoires. Nous parlions de la vie comme on en parle à seize ans au bivouac. Les yeux pleins de flammes.
La vie sauvage
Dans Textes indédits
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