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Premier janvier. De Málaga, traversée de la Sierra de la nieves, serranía de Ronda, sierra de Grazalema. Quitter le rivage de la Méditerranée signifiait commencer la dernière remontée vers le nord. La roche des vieilles sierras porte le gris doux de la nostalgie. De très anciens souvenirs affleurent. Cette rencontre avec Antonio Ordóñez, en compagnie de Mateo, pour un projet d'exposition qui n'eut jamais lieu. Enfin si... comme nous avions décliné la proposition d'accrocher nos peintures sur les murs d'un restaurant qui nous semblaient inopportuns, nous organisâmes le vernissage de nos tableaux dans la minuscule pension où nous créchions, dont le nom m'échappe aujourd'hui. Ah si, je me souviens! Pensión de la Santísima Virgen de Lurdes. Le maestro, qui m'avait à la bonne depuis que je lui avais offert un portrait (de lui) à l'aquarelle, à l'occasion d'une rencontre à Orthez, pensait bien faire en proposant le lieu le plus couru de Ronda, juste à la sortie des arènes (c'était à l'occasion d'un "seul contre six" de Paco Ojeda ) mais lorsqu'on est un génie de l'art de Cúchares, on ne l'est pas forcément dans celui d'organiser une exposition. Sa logique n'était pas la nôtre, et nous n'avions pas la même notion de l'évidence. L'adorable vieille bigote qui tenait le galetas nous permit de sauver l'honneur à nos propres yeux, et ce fut l'occasion pour la Sainte Vierge de notre Sud-Ouest d'opérer un petit miracle loin de ses bases.
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La nuit est fraîche, dans la sierra. Et comme nous sommes le premier jour de l'année, toutes les tavernes sont fermées. Alors j'ai marché longtemps, à brasser les idées et les émotions, dans les rues ennuitées du village où j'ai choisi de faire halte.
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Départ sous le ciel de nouveau bleu, pour rejoindre l'est de la province de Séville, où je veux passer une dernière fois pour revoir le paysage et tenter encore le diable des images. La sierra m'abandonne aux vallons peuplés de chênes qui donnent au coin un air de Pays-basque, puis les vallons me laissent glisser jusqu'à la plaine en mosaïque de champs céréaliers. Les uns noirs. D'autres beige portant des traces plus sombres, comme passés au chalumeau. D'autres encore vert tendre du blé et de l'orge en pousse. Le printemps semble avoir quatre mois d'avance. Les oliveraies sont posées sur un tapis de bouton d'or et la moutarde des champs fait une haie d'honneur sur les talus.
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Au loin, dans la brume laiteuse, j'aperçois la silhouette de la tour de l'exposition universelle. Séville. Ce voyage a commencé ici, il y a quatre ans. J'ai parcouru la ville de jour et de nuit, sans savoir alors que les images composerait l'album "Séville, aparté", qui paraîtra plus tard dans le livre sur Rafael Riqueni*. Sans savoir que j'allais rencontrer et côtoyer pendant un an le maestro de la guitare flamenca, et bien plus que flamenca. Sans savoir que le voyage enfanterait de ce projet de livre dont j'achève ici l'aventure photographique, après quatre années de divagation, vingt séjours, plus de 30000 kilomètres de routes et de chemins, et plus d'un millier à pied. Je reviens à Séville pour un dernier salut. Un dernier qui ne sera pas le dernier. Je le sais. Je le souhaite. Je l'espère. Comme on dit ici, quand on propose de prendre la dernière tournée qui ne sera jamais la dernière : la penúltima. L'avant-dernière. La dernière, c'est quant on va mourir. Et encore, qui sait? Alors ce dernier voyage, disons que c'est l'avant-dernier. Sitôt le sac et la guitare déposés dans la chambre que je loue dans le quartier du Musée de Beaux-Arts, je plonge dans les rues, comme dans les eaux familières d'une vieille rivière. Et je me laisse aller jusqu'à la nuit, dans le centre où remuent mille langues dans la bouche de la foule. Séville est un bouillon, un feu vif, un tumulte, un flot de parfums, d'illusions, de déceptions, d'inspiration... on dit que l'âme de la ville s'est perdue dans la course au profit, étouffée par la pollution touristique, les conséquences de sa propre vanité. Et pourtant, sous le masque de la caricature d'elle-même qui attire les visiteurs du monde entier, comme un piège lumineux attire les mouches et les moustiques, sous les oripeaux de l'espagnolade, Séville est toujours Séville, même si on ne la voit plus en tant qu'elle-même, même si le barbero est devenu le hairdresser, même s'il faut la deviner, écouter son murmure au creux des heures, au coin de la lumière, au souffle de la nuit. Le psalmodie du duende dans les effluves du jasmin que décembre n'aura pas fané. Le tintement d'une cloche d'église... Je me dis qu'après avoir renoncé au voyage à l'étranger, il faudrait peut-être renoncer à mon éternel voyage en Andalousie, pour ne pas participer au massacre. Or l'Espagne n'est pas l'étranger pour moi, mais la patrie du coeur, devenue une province de ma terre natale, tant de fois j'y suis né, et mort pour y renaître. Peut-être que je ne fais là que me donner un bon prétexte pour m'absoudre. Il n'est pas impossible qu'un jour, je me contente de voyager dans les contrées intérieures. La plus belle des Andalousies est celle du dedans. Du dedans de soi. Celle que j'invente depuis un demi-siècle. Pour l'heure, partagé entre le plaisir et le doute, je finis ma déambulation au comptoir d'une taverne qui est pour moi le centre du monde, et dont je préfère taire le nom pour que personne ne vienne m'y retrouver. Que chacun découvre sa taverne au centre du monde...
* Rafael Riqueni, Une guitare de cristal, Éditions Contrejour
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à suivre...